Portrait :
Eric Lombard,
des défis et des hommes
PUBLIÉ LE 18 Septembre 2015
Eric Lombard, 57 ans, nous reçoit dans un bureau de passage, dans les locaux parisiens flambant neufs de Generali France, juste en face du Figaro. Les murs sont encore vierges, mais par la fenêtre, on aperçoit une affiche de Nicolas Sarkozy accrochée sur le mur d’un bureau d’en face. « Moi, je croyais à la liberté de la presse », s’amuse-t-il.
Le directeur général de Generali France nous regarde derrière ses célèbres lunettes rondes, les yeux rieurs. Il porte une chemise bleu ciel et une cravate avec des petits éléphants couleur pastel. Il garde encore de ses vacances un bronzage caramel, les lèvres craquelées et le nez pelé. « J’ai une maison en Bretagne à Trinité sur Mer, c’est bien pour la voile. » Le hasard fait bien les choses, puisque le patron de Generali, le plus ancien sponsor nautique de France, est un grand amateur de voile.
Et de musique. M. Lombard soutient à titre personnel l’Insula Orchestre de l’île Séguin, dirigé par Laurence Equilbey. Il aime jouer du Bach et du Beethoven sur son piano, « un Steingraeber », dit-il avec respect. Tous les samedis, il prend des leçons privées : « Mon troisième enfant est un très bon pianiste. On a la même prof. Mes trois enfants aiment la musique, mais le troisième est plus doué que moi, ce qui me fait très plaisir », dit-il avec fierté.
Petit, Eric Lombard grandit en région parisienne, issu d’une famille « des gens d’entreprise ». Il passe ses étés à Troyes, dans la maison familiale. Bon en maths, il adore également la philo. « Ça m’embêtait beaucoup d’abandonner les lettres pour faire une école d’ingénieur. J’ai donc choisi une prépa à HEC pour garder une diversité de matières ». A 20 ans, Eric Lombard a des cheveux longs, joue au rugby et ne passe pas trop de temps sur ses bouquins. « C’était une époque où on était beaucoup plus décontractés sur l’avenir ». Le domaine qu’il travaille le plus est la finance, notamment guidé et inspiré par le professeur Pierre Vernimmen. De cette période, Eric Lombard garde « des amitiés très fortes », qu’il sait cultiver tout au long de sa vie.
Dès le campus, il s’initie à la politique. « Nous avons créé un syndicat indépendant à HEC, parce qu’à l’époque il y avait seulement un syndicat giscardien et un syndicat de gauche qui était assez proche du parti communiste. Nous avons donc créé une troisième voie et nous avons obtenu 30% des votes ». Voilà donc le jeune Eric Lombard investi de grandes responsabilités, au comité d’enseignement de l’école, en tant que représentant des élèves. Une expérience formatrice.
Avec le diplôme d’HEC en poche, il est pressé de commencer à travailler. Il rêve de diriger une entreprise industrielle, mais le choix de Paribas se fait tout naturellement en 1981, suite à un stage et une coopération. « Je n’ai jamais cherché de boulot », avoue-t-il.
Après 8 ans chez Paribas au département du commerce international et à la gestion financière, le jeune collaborateur s’ennuie un peu et s’engage en politique pour préparer la candidature présidentielle de Michel Rocard. « Rocard était une bonne synthèse permettant la modernisation de la France, sans oublier la dimension sociale. J’ai eu le sentiment que c’était une aventure politique et humaine rare et je n’ai pas été déçu parce que nous avons mené un certain nombre de modernisations importantes, avec des gens fabuleux ». De 1989 à 1993, Lombard s’engage dans le secteur public en tant que conseiller technique au cabinet de Louis Le Pensec, porte-parole du Gouvernement ; puis auprès de Michel Sapin, d’abord ministre délégué à la Justice de 1991 à 1992, puis ministre de l’Economie et des Finances de 1992 à 1993. « La politique peut être pénible, mais quand on est en situation d’activité, on n’a pas de problème de ‘sens’ parce qu’on essaie de travailler pour l’intérêt général. » Le passage dans l’appareil d’État durera 4 ans, pendant lesquels Eric Lombard y trouve son compte. Les nuits blanches, le petit salaire et le risque de se faire virer avec le changement de gouvernement n’enlèvent rien à la satisfaction de travailler pour le bien commun. « Surtout quand on a 30 ans, c’est très motivant», conclut-il.
La prise de risque était assez limitée pour Eric Lombard car le président de Paribas, Michel François-Poncet, lui laisse la porte ouverte et l’invite à revenir, après sa parenthèse ministérielle. « Il a été très élégant. C’était une sécurité qui, franchement, était précieuse ».
Fidèle au poste
Après 4 ans en cabinet ministériel et sortant de Bercy, Eric Lombard a « des propositions « très bien rémunérées » de plusieurs banques américaines. Il fait la sourde oreille et se tourne vers son ancien employeur, fidèle au poste. « Je trouvais que c’était plus « fair » de revenir chez Paribas, parce que j’avais cet engagement verbal, même si le travail était moins bien rémunéré qu’en cabinet ministériel, pendant la première année ». Rires. « Il y avait une dimension éthique, car personne pouvait me reprocher de retourner là d’où je venais, à un poste de base. Je ne me voyais pas travailler pour une banque américaine après avoir bossé pour l’État français. Ça me gênait un peu ». Et puis, il le fait par loyauté envers le professeur Vernimmen, qui vient le chercher pour créer un département de fusion acquisition chez Paribas. Pour Eric Lombard, « la dimension personnelle dans la vie est juste essentielle ». Nous lui faisons remarquer que Pierre Vernimmen l’a eu à l’affect. « C’est comme ça qu’on m’a en général », reconnaît-il.
Le deuxième épisode chez Paribas durera 20 ans jusqu’en 2013 ! Cette aventure l’émeut encore. « C’est passé vite. Quand j’ai fait les fusions acquisitions, ça a bien marché. Après, je me suis occupé de tous les clients mondiaux. Je passais mon temps entre New York, Tokyo et Singapour. Très intéressant. Ensuite, il y a eu la fusion BNP Paribas, une des plus grandes fusions jamais faite. Je me suis très bien entendu avec Michel Pébereau aussi. Il m’a demandé de mettre en place les méthodes de management que j’utilisais chez Paribas pour les relations avec les clients. Et puis, en 2004, on m’a proposé de diriger Cardif, une des plus belles entreprises du groupe. J’y ai encore beaucoup d’amis », résume-t-il.
Le départ de BNP Paribas Cardif n’a pas été facile : « Quand Mario Greco, <directeur général du groupe Generali>, est passé à Paris pour me parler du poste <de directeur général de Generali France>, je lui ai dit que j’avais plein d’idées pour lui. » Rires. « Mais que, naturellement, moi, il n’en était pas question ». Lombard a beaucoup réfléchi avant de prendre sa décision. Encore une fois, les personnes ont beaucoup compté : « Nous nous sommes bien entendus avec Mario. J’ai aimé le côté très cash et direct de nos discussions ». La DRH m’a lâché : « Vous avez été banquier d’affaires. Ça veut dire que vous ne vous intéressez pas aux gens ». Une accusation qui a certainement vexé le dirigeant pour qui le « dialogue » est un axe de management.
Quitter l’entreprise de toute une vie a été dur. « En plus, chez BNP, ils m’en ont un peu voulu, surtout Michel Pébereau. Ils auraient préféré que je reste, ce qui est gentil de leur part… Mais bon, je leur ai laissé une maison en bon état. D’ailleurs, j’ai regardé les résultats de 2014. Ils sont excellents. Je suis ravi ».
Eric Lombard était courtisé par plusieurs entreprises, mais a finalement choisi de diriger Generali France en 2013 parce que « c’est le grand groupe d’assurance qui n’a pas bien traversé la crise. Se dire, avec Mario, qu’on va en refaire un grand nom est un défi absolument unique », affirme-t-il.
Le nouveau directeur général s’est rapidement fait une place chez l’assureur italien. Sans vouloir marquer une rupture avec son prédécesseur Claude Tendil, il a réussi à imposer un certain « style Lombard » basé sur le dialogue : « Les collaborateurs s’expriment sûrement plus facilement quand ils sont avec moi qu’avec lui». Rires « Honnêtement, Claude est une personne un peu bourrue mais très humaine qui m’a toujours encouragé dans la mise en place de nouvelles méthodes de management ». Parmi les principaux changements : structurer les services par univers client et créer des cellules créatives pour faire émerger de nouveaux projets.
Les discussions avec les agents généraux peuvent être tendues, mais Eric Lombard a compris que la distribution est le nerf de la guerre. Il a su valoriser les équipes et les motiver pour repartir en conquête. « On a eu droit à une standing ovation lors du dernier congrès. Franchement, je ne m’y attendais pas ». Une première étape dans cet immense défi.
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