PORTRAIT :
Pierre-Alain de Malleray,
le faire way
PUBLIÉ LE 25 Février 2022
Pierre-Alain de Malleray, président du groupe Santiane, sera l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 10 mars. Voici son portrait.
En pénétrant dans l’open space de Santiane, le regard se dirige naturellement vers les salles fermées, à la recherche du bureau du président. Erreur ! Pierre-Alain de Malleray, casque-micro sur la tête, est tout au fond de la pièce et rien ne permet de le distinguer du reste de l’équipe. Geste rapide, sourire tombant et mot juste, il nous accueille dans un petit salon de réunion surchauffé par un ardent soleil d’hiver. Et déroule le fil d’une vie très active avec toujours beaucoup de recul. « Je parle beaucoup de moi, non ? », lâchera-t-il en cours d’entretien. C’est précisément ce qu’on attendait.
Pierre-Alain de Malleray est né le 17 avril 1977 à Neuilly-sur-Seine (92). Il grandit en Suisse, où la famille est installée, du fait des activités paternelles. L’actuel président de Santiane vit alors à Lugano, « mais sans mon père, qui est décédé juste après ma naissance dans un accident d’hélicoptère ». Il ne le connaîtra qu’à travers les souvenirs de la famille, sa mère et sa grande sœur de huit ans son aînée.
Il est âgé de sept ans quand la famille (re)vient s’installer en France, à Paris. Pierre-Alain de Malleray parle Italien et Français, mais ses liens à la Suisse s’étiolent. « Je suis bi-national, mais mon passeport est périmé depuis des années et je n’ai pas demandé la nationalité Suisse pour mon épouse et mes enfants… On adore la Suisse pour skier, mais maintenant, toute la famille est en France ».
En termes de scolarité, Pierre-Alain de Malleray est un modèle de réussite. Il commence par l’École internationale bilingue, puis entre au Lycée à Henri IV « parce que j’étais attiré par l’élitisme républicain ».
« Je n’étais pas un élève modèle. J’avais une bande, un peu turbulente. Je n’étais pas du tout en échec, j’avais des facilités mais je n’étais pas non plus Agnan, le premier de la classe », analyse-t-il en référence au personnage du Petit Nicolas. Plus que pour les résultats scolaires, Pierre-Alain de Malleray semble ici faire référence à l’attitude d’Aignan, « chouchou de la maîtresse », solitaire et trop sérieux. « Parmi mes copains de l’époque, beaucoup ont été exclus de l’école », rit-il franchement. Des amitiés franches et solides, qui passent par quelques bêtises « dont je ne suis pas très fier » mais aussi quelques « faits de gloire ».
Adolescent dans les années 90, le collégien se glisse dans la culture américaine que l’école bilingue facilite ou grâce aux « summer camps » auquel il participe. « Je faisais du skateboard, du basket, on écoutait du rap, puis, vers la 3e, on a rangé les skates pour sortir les basses et les Fender », détaille-t-il.
« On avait formé un groupe au lycée et on faisait des reprises de Led Zeppelin. Je jouais de la basse et du clavier, puisque le piano c’était mon truc et que John Paul Jones jouait la basse et le clavier dans Led Zep’, j’ai choisi ce personnage », surpris de retrouver si facilement le nom du musicien. Pierre-Alain de Malleray se souvient de quelques concerts pour des amis ou « dans des micros salles » et de Fêtes de la musique. Mais le groupe a aussi fait la première partie d’un groupe au Gibus (salle célèbre dans le Xe arrondissement de Paris) et le caveau des Martyrs, à Montmartre.
Stairway to Heaven
Il entre à Henri IV attiré par l’élitisme républicain, « j’étais fasciné par ce monde de l’inteligentsia française, bien que ma famille n’en faisait pas partie. Je participais aux concours généraux, je lisais des copies d’étudiants qui étaient meilleurs que moi, meilleurs que beaucoup de gens de ma classe. Ils étaient dans le quartier Latin à Paris, entre Louis Le Grand et Henri IV, et j’étais fasciné et très attiré par cet univers. J’avais une véritable attraction pour les choses de l’esprit, maths, philo, littérature. Et j’ai appris qu’il y avait un endroit où les meilleurs du pays se retrouvaient et que, si jamais ils m’acceptaient, je serais heureux d’être dans ce monde là. Donc j’ai déposé un dossier pour entrer en première à Henri IV et j’ai été pris. » Sa mère ne lui met pas de pression particulière pour les études, et ce n’est pas non plus un challenge selon lui, ni l’envie de prouver qu’il était le meilleur. Simplement de la curiosité et de l’ambition.
« Je me préoccupais assez peu de me projeter dix ou quinze ans plus tard. J’ai été tenté par plein de choses. J’ai voulu être chef d’orchestre, parce que la musique a toujours été très importante pour moi. J’ai eu une période diplomate aussi. Et quelque chose qui m’a beaucoup suivi après, qui m’a orienté dans mes études, c’est l’ambition de devenir haut fonctionnaire d’organisations internationales. Un de mes modèles étant Pascal Lamy qui a officié au plus haut niveau et à la Commission Européenne et à l’OMC. Je voulais avoir de l’impact, changer les choses, j’étais assez fan de ces carrières là ».
Pour la prépa, il choisit les maths. « J’adorais deux matières, les maths et la philo, mais j’ai finalement choisi les maths et j’ai fait ma prépa à Sainte-Geneviève (dit « Ginette », un lycée privé d’excellence situé à Versailles, ndlr) chez les Jésuites ». Il poursuit son cursus à Polytechnique en profitant d’une nouveauté. « On pouvait faire un service civil et je faisais de la prévention contre la délinquance avec des jeunes dans des quartiers sensibles… C’était assez génial », commente-t-il en se remémorant l’expérience.
Le choix de carrière s’affine petit à petit. « Déjà, je voulais étudier une matière qui me plaît, et quitte à être dans l’action, autant avoir le plus d’impact possible. À l’X, je me posais la question de faire de la recherche aussi… J’ai préparé l’ENA sans avoir fait de prépa particulière et je me disais, ‘soit je suis pris et je vais dans cette voie, sinon j’irais faire une thèse dans une université américaine, en économie’. Ce qu’ont fait plusieurs de mes amis qui ne tentaient pas le concours… » Il est alors à l’école des Ponts et Chaussées qu’il quitte après seulement un an, une fois l’entrée à l’ENA validée. « Je me suis pris une lettre très sèche du directeur qui me disait qu’il ne voyait vraiment pas les raisons qui pourraient pousser un jeune ingénieur des Ponts à aller à l’ENA, ‘où on n’apprend rien et où la sortie était vraiment très aléatoire’ et il avait dans le fond assez raison ». Mais ça lui a plutôt réussi.
À fond pour l’impact
Passionné par les politiques publiques, il se dit « séduit par la préparation et les débouchés qu’offre… qu’offrait, il faut en parler au passé maintenant, l’École nationale d’administration ». Il fait l’ENA entre 2002 et 2004, et en sort à Bercy, « où je voulais, à l’Inspection générale des finances – corps en cours de suppression également – parce que c’est une excellente plateforme d’observation de l’État et des politiques publiques. On voit ce qui marche et ce qui ne marche pas, avec une vraie proximité avec les décideurs gouvernementaux. C’est un super poste d’observation mais aussi un poste où, à 26-27 ans, on peut avoir un impact très supérieur à celui que l’on peut avoir dans une grande entreprise ». En se retournant aujourd’hui sur cette période, le dirigeant « ne regrette absolument pas ce choix, même si mon quotidien aujourd’hui est très loin de celui d’un haut fonctionnaire ».
À l’IGF, l’ambition de faire et surtout de faire mieux est importante pour Pierre-Alain de Malleray qui veut agir, être utile, laisser une marque. « On avait travaillé sur une taxe, la contribution Delalande pour protéger l’emploi des seniors en sanctionnant les entreprises qui licenciaient les plus de 50 ans. Nous avions montré qu’au lieu de protéger l’emploi des seniors, elle avait l’effet inverse et dissuadait les entreprises d’embaucher. La taxe a été supprimée suite à ce rapport. J’ai donc à mon actif un fait de gloire très très rare qui est celui de faire supprimer un prélèvement obligatoire ! », s’amuse-t-il.
Il présente un autre exemple, choisi avec minutie pour l’entretien ? C’était à propos du financement de la recherche publique et des retombées économiques en France. « J’avais contribué à un rapport co-écrit avec celui qui est actuellement président de la République, qui a été publié et doit toujours être disponible d’ailleurs », détaille-t-il. Le rapport est disponible ici et il existe même une tribune des auteurs dans les archives du journal Libération.
Pendant la campagne présidentielle de 2007, il contribue à l’élaboration du programme de Nicolas Sarkozy. « Il arrive avec un programme en rupture, avec des grandes promesses de réformes. Je voulais participer à cette grande aventure collective et je me retrouve avec Xavier Bertrand au ministère des Affaires sociales. Ce n’était pas un choix de carrière, parce que c’est considéré comme moins prestigieux que Bercy. Mais les grands sujets de finances publiques sont plus importants aux Affaires sociales qu’à Bercy : le budget de la Sécu est plus gros que le budget de l’État et les leviers n’ont pas été transférés, ni aux collectivités locales ni à la Commission européenne. On a les plus gros budget et on a les manettes. »
Il travaille sur la dépendance et la fameuse création d’une cinquième branche la Sécurité sociale ainsi que sur la réforme des retraites notamment mais reste un peu sur sa faim sur le bilan du quinquennat. « Je n’avais pas idée de faire carrière dans les Affaires sociales, mais le cabinet, oui. C’est un peu le passage à faire, une opportunité unique ».
Assurance comme une évidence
Trois ans et trois ministres plus tard, il ressort « un peu sans solution immédiate pour la suite. J’étais avec Xavier Darcos sur la réforme des retraites et il se fait virer sèchement. Je ne me voyais pas servir un quatrième ministre, même si je prenais du galon à chaque fois dans le cabinet. » Sa première fille vient de naître et il décide de s’orienter vers le monde de l’entreprise – ne dites pas « le privé » il n’aime pas le terme ! – plutôt que de rester dans l’administration. Explications : « Il faut beaucoup de patience et de persévérance pour faire carrière dans l’État quand on a des convictions fortes sur le chemin à emprunter pour améliorer le pays et l’efficacité de l’action publique. J’avais trois priorités personnelles : le droit du travail et le fonctionnement du marché du travail, les finances sociales qui sont insoutenables et l’enseignement supérieur et la recherche… enfin l’enseignement en général. J’avais vu ces sujets de près, à l’inspection des finances, et j’en étais ressorti avec des convictions fortes. Pas des convictions politiques mais je dirais plus scientifiques. Ma feuille de route était claire, mais personne ne l’a déroulée… »
Il dresse « un constat un peu dur, mais c’est, je crois, la vérité : nous n’avons pas été capable en France d’engendrer une figure politique réformatrice. C’est un des regrets que j’avais à l’époque et que j’ai toujours, même si je suis plus loin de cela maintenant. Ne voulant pas faire de politique moi-même, mon choix était fait. Je ne suis pas parti par dépit et je continue à avoir un intérêt très prononcé pour l’État et les politiques publiques, mais je suis trop impatient pour attendre la conjonction astrale parfaite, entre un pays qui accepte d’être réformé et un président qui voudra le faire ».
La prochaine étape sera le monde de l’entreprise et l’assurance, où il n’arrive pas par hasard. Avec la préparation d’une réforme de la dépendance qui ne s’est pas faite et son rôle de conseiller économie-assurance en cabinet, il a croisé tous les grands patrons du secteur sur la période 2007-2010. « Ils tapaient toujours sur les pouvoirs publics mais adoraient être invités à déjeuner par le ministre », s’amuse-t-il aujourd’hui.
Dans son travail d’analyse, il cible l’assurance en s’inspirant de la théorie des avantages comparatifs de l’économiste Ricardo. « En France, on sait faire du luxe, un peu de banque et on sait beaucoup faire de l’assurance. On a une école mathématiques reconnue, on a un géant mondial qui est Axa, on est le quatrième marché mondial, l’intérêt intellectuel n’est plus à démontrer… Y’a du droit, de la science, de l’économie. Pour moi, c’était évident… »
Denis Kessler lui propose tout suite un poste. Mais il prend six mois pour accepter car « je suis un rationnel, j’ai besoin d’analyser, de comparer ». Il examine des opportunités dans le conseil, l’industrie puis revient à la proposition du patron de Scor.
« On me proposait un vrai mandat social, un budget, un bilan d’un milliard d’euros et un chiffre d’affaires de 300 millions. Quand je retrouvais mes copains, je disais ‘je suis chef d’entreprise’ mais je n’en revenais pas moi-même ! ». Il a alors 33 ans et a toujours suivi la voie qu’il avait choisie.
Il entre chez MutRé, structure hybride où il apprend beaucoup.
La réassurance se joue sur un rythme lent. Pierre-Alain de Malleray finit par se lasser et saute sur l’opportunité du courtage. « La réassurance m’a permis d’apprendre la grammaire, mais je n’ai pas trouvé les coups d’accélérateurs grisants que j’avais connus avant… J’ai été servi en arrivant ici. Je pensais rejoindre une licorne de l’assurance mais l’entreprise était en réalité assez mal en point, nous avons même frisé la faillite ». C’est sa première vraie grande difficulté, « de très très loin. Dans un ministère aussi il ya des difficultés, mais là, j’avais fait un choix très engageant, je voulais jouer à l’entrepreneur, ce n’était pas juste être le patron d’une boîte ». Il prend un risque professionnel, financier. « En arrivant,« je voyais qu’il y avait besoin de compétences nouvelles pour continuer à structurer l’entreprise mais personne n’avait vu l’ampleur de l’écart entre la promesse et la réalité. C’était un risque fou, mais c’est devenu une chance : le fait que ce soit un crash, ça a fait place nette et avec l’équipe formidable que j’ai constituée, nous avons pu repartir plus fort ». Santiane est passé de 20 à 80 millions de chiffre d’affaires en croissance organique,« est leader en santé directe, leader en santé grossiste, premier courtier digital de France », ajoutera-t-il après l’entretien.
Chi va piano…
Pour se changer les idées, Pierre-Alain de Malleray pratique aujourd’hui le golf ou le ski.
Basket et tennis jalonnent sa jeunesse. Pourtant, à l’X, il choisit… la voile ! « On fait surtout de la planche à voile sur le lac de l’X et le mercredi on faisait du dériveur dans les Yvelines. C’était… vivifiant », s’amuse-t-il. « J’ai bien aimé, mais je ne suis pas un grand voileux, je n’ai pas franchi le pas ». L’assurance n’en manque pourtant pas.
Mais Pierre-Alain de Malleray est connu dans l’assurance pour son swing. « Le golf, c’est mon sport de maintenant. J’ai commencé à l’ENA, avec un copain qui m’a fait découvrir et j’ai vite accroché. On essaie de faire deux week-ends par an avec les amis pour découvrir des parcours. Les lieux sont souvent sublimes et ce sport est très très addictif. C’est un combat contre soi-même, il faut accepter l’imperfection. Après un 18 trous, l’esprit est vidé, renouvelé… C’est un grand sport ».
Le piano est son autre grande passion. « Ça me suit depuis longtemps. J’ai commencé à 7-8 ans, parce que ma grande sœur jouait et que ça me plaisait. J’ai toujours eu une relation quotidienne à l’instrument, avec des pauses obligatoires sur les campus ou en expatriation, mais c’est un fil rouge dans ma vie. J’essaie de jouer tous les jours, je n’y arrive pas toujours mais j’essaie et j’y ai mis les enfants. Ils ne vont pas tarder à me dépasser, ils sont doués et travailleurs ! », assure-t-il.
Enfin, son coup de cœur de la quarantaine, c’est la Normandie. « Avec mon épouse Sarah, nous avons cherché pendant des années une résidence secondaire. Nous avons choisi une maison en Normandie, proche de Pont-L’Évêque », explique-t-il. Et comme le dirigeant ne fait jamais les choses à moitié, il est président de l’association des Amis du nouveau musée des Franciscaines à Deauville, et y est également administrateur d’un festival de musique de chambre « de grande qualité ». Cette respiration à la campagne, où ils n’ont aucune famille, est évidemment le lieu d’un week-end idéal. « Partager des activités avec les enfants, aller écouter de la musique ou recevoir des amis et refaire le monde », voilà ce qui plaît au quadragénaire. Faire, faire avancer et améliorer.
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