Contribution / Grande Sécu :
Quels sont les apports importants des "mutuelles" au système de santé ?
PUBLIÉ LE 25 Janvier 2022
Certes, les Assurances Maladies Complémentaires (les « mutuelles » dans le langage courant des assurés, et dans la suite de cette Contribution) telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui ne sont pas dépourvues d’inconvénients, largement mis en évidence notamment dans le rapport du HCAAM : frais de gestion ou de distribution élevés (surtout pour les contrats individuels), ou contribution à la hausse des dépassements d’honoraires, du prix des lunettes, des implants dentaires et des prothèses auditives, etc, lorsqu’elles prennent en charge intégralement les dépassements du tarif de responsabilité correspondants.
Nous sommes néanmoins convaincus que les mutuelles apportent à un système de santé des avantages décisifs inatteignables à une Grande Sécu financée par des prélèvements obligatoires.
Nous en avons retenu 10 ci-après :
- Les mutuelles responsabilisent. Dans une Grande Sécu, le prélèvement qui la finance est invisible et inévitable. Dès lors qu’il est payé, l’usage est gratuit. L’usager n’a aucune incitation à être responsable, il ne sait même pas ce qu’il coûte. Autant en avoir pour ses droits, qu’il s’agisse de consultations, de médicaments, de montures de lunettes, voire d’arrêt de travail. Et quel professionnel de santé refusera de répondre à une demande, qui « ne coûte rien » en apparence ? À l’inverse, sans atteindre l’efficacité du paiement direct, la mutuelle oblige à s’intéresser au budget que l’on veut y affecter, à choisir les postes de dépenses sur lesquels on se contente de garanties plus limitées. De plus, dans certaines mutuelles, si le groupe des assurés s’est bien comporté, un remboursement partiel de cotisation est possible. Certes, une fois le budget et la nature des garanties définis, la responsabilisation devient moindre. C’est pourquoi nous recommandons également l’existence d’un paiement direct minimum obligatoire.
- Les mutuelles apportent une contribution spécifique à la pédagogie des assurés. Pour toutes celles qui ont une communication régulière avec eux c’est l’occasion de promouvoir des pratiques d’hygiène et de prévention. La pédagogie se déploie aussi lors de la renégociation des contrats collectifs, occasion de réexaminer les risques à couvrir par priorité en complément de l’AMOi, ou de faire évoluer le contrat en fonction du budget alloué. Pour un particulier, c’est lorsqu’il choisit un contrat ou l’actualise qu’il s’interroge de même : quel budget pour les dépassements d’honoraires, la chambre individuelle, etc
- Les mutuelles permettent d’adapter les garanties aux besoins spécifiques de sous-populations. Les ressources d’une Grande Sécu ne peuvent pas être illimitées. Par conséquent, les garanties sont plafonnées, sans personnalisation. Or les situations des assurés ne sont pas homogènes. Des sous-populations distinctes souhaiteront pour un même budget couvrir des besoins différents. C’est ce que l’on constate avec les contrats collectifs définis et recommandés par les branches. Les risques des salariés de l’industrie lourde ou du bâtiment ne sont pas les mêmes que pour les services financiers, ceux des artisans ne sont pas ceux des professions libérales.
- Les mutuelles constituent un espace de prise en compte des attentes et des priorités des assurés à un niveau plus fin que ce que peut faire la Sécu, que ce soit grâce aux assurés représentés au conseil d’administration de leur mutuelle, à l’action des services marketing et techniques des assureurs qui cherchent à répondre au mieux aux attentes de leurs clients, ou aux contrats collectifs négociés par les employeurs et les représentants des salariés dans les entreprises.
- Les mutuelles permettent en sens inverse d’ajuster les contributions à la consommation médicale d’une sous-population. On sait par exemple que la dépense de santé est plus faible là où l’offre est moins abondante, en particulier dans les territoires, et plus encore dans les déserts médicaux. Convient-il que le résident-contribuable de ces régions finance par ses impôts la consommation médicale des habitants de Paris ou de Nice ?
- Les mutuelles constituent un élément décisif dans le processus de modernisation. L’AMO est structurellement lourde dans son processus décisionnel. En déficit et endettée, elle est réticente devant des pratiques et dépenses nouvelles. Proche de la Faculté de médecine, elle est plus que prudente devant les pratiques récentes dans notre pays, quand bien même elles auraient fait leurs preuves à l’étranger. Comment pour elle encourager les pratiques qui soignent véritablement sans que l’on sache encore démontrer comment ni pourquoi ? Aussi les pratiques telles que l’ostéopathie, la chiropraxie, l’hypnose, la mésothérapie, l’auriculothérapie, l’acupuncture, l’homéopathie, dont l’efficacité est attestée par le succès rencontré auprès des patients dans de nombreux pays, mais qui ne disposent pas (encore) de bases scientifiques reconnues comme suffisantes en France, ne pourraient contribuer à la modernisation de notre système de soins dans un régime de Grande Sécu. Ceci concentrerait l’innovation sur les programmes de recherche des grands CHU focalisés par les approches traditionnelles de la Faculté de médecine française.
- Les mutuelles contribuent à élargir l’offre de soins, et à peser sur son coût. Les mutuelles apportent directement des soins de façon performante, par exemple les cliniques, opticiens et dentistes mutualistes, et plus largement tout ce qui relève des réseaux des L3 de la mutualité française. Cette offre devrait à notre sens être largement encouragée et développée, pour apporter une plus large alternative à certaines pratiques tarifaires devenues excessives. Elles apportent également une capacité de négociation avec les professionnels de santé, ainsi qu’on le voit avec les réseaux de soins, qui mériterait également d’être plus largement utilisée.
- Les mutuelles mutualisent également utilement d’autres dépenses, qui relèvent plus du bien-être que du soin. Rappelons en effet qu’au sens de l’OMS, la santé va jusqu’au bien-être. Mais une Grande Sécu devrait-elle assurer la gratuité de dépenses qui relèvent plus de la consommation discrétionnaire que du soin, à l’exemple de montures de lunettes haut de gamme ou de chambre individuelle ?
- Les mutuelles apportent une contribution financière parfois essentielle au système de santé par rapport à ce que pourrait faire un grand service public gratuit. Par exemple, faire financer la chambre individuelle gratuite pour tous par une hausse des impôts serait malaisé. La réserver aux mutuelles résiduelles haut de gamme risquerait de faire quasiment disparaître cette prestation actuellement largement admise, alors que c’est un élément nécessaire à l’équilibre financier des hôpitaux. De même, la prise en charge par les mutuelles des dépassements d’honoraires parfois importants facturés en consultation privée à l’hôpital par les professeurs de médecine attache ces derniers à la pratique hospitalière et permet de faire bénéficier tous les malades, quelles que soient leurs ressources, de leur compétence. C’est un important élément de solidarité entre les plus riches et les plus démunis.
- Les mutuelles permettent enfin et plus largement d’augmenter le volume des financements qui peuvent être affectés aux dépenses de santé. Un financement reposant quasi exclusivement sur des prélèvements obligatoires viendrait se heurter à la concurrence des autres usages des prélèvements obligatoires (éducation, ordre public, etc). Nous avons en France les prélèvements obligatoires parmi les plus élevés du monde, et des déficits également parmi les plus élevés. Faire reposer davantage le financement des dépenses de santé sur ces ressources sous forte pression conduirait inéluctablement à chercher à plafonner, voire à réduire ces dépenses, comme on le constate au demeurant avec la pression constante aux déremboursements, à un moment où les évolutions démographiques vont au contraire accroître les besoins. A titre indicatif, Le Royaume-Uni et la France ont quasiment le même PIB par tête. La part du PIB affectée à la dépense médicale totale est de 11,2% du PIB en France et 10% au Royaume-Uni, pays qui a un système de type Grande-Sécu. C’est en première approche de l’ordre de 1,2 points de PIB, soit une trentaine de milliards d’euros de moyens supplémentaires dont il s’agit.
Si les « Mutuelles » n’existaient pas en France, il faudrait les y développer d’urgence. Comme nous avons la chance qu’elles existent, nous recommandons d’en tirer le plein potentiel, par priorité en matière de différenciation des garanties en fonction des populations protégées, et de responsabilisation. Il convient en ce sens d’assouplir d’urgence les contraintes qui pèsent sur les mutuelles en matière de cahier des charges des risques à couvrir pour bénéficier du régime fiscal et social favorable.
À suivre …
Régis DE LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation
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