PORTRAIT :
Christophe Harrigan,
objectifs plus

PORTRAIT : Christophe Harrigan, objectifs plus
PORTRAIT : Christophe Harrigan, objectifs plus

Christophe Harrigan, directeur général de La Mutuelle Générale, sera l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 15 novembre 2023. Voici son portrait.

Ce n’est pas un bureau, mais plus un salon – salle de réunion dans laquelle nous retrouvons Christophe Harrigan pour ce rendez-vous. La rencontre s’est faite à la machine à café quelques minutes avant. Précis, vif et volubile, le directeur général de la mutuelle entre dans l’exercice avec facilité, multiplie les exemples et anecdotes mais reste tout en maîtrise… et sourires.

Christophe Harrigan est né le 30 mai 1975, au Mans. Ses parents sont médecins et il grandit, avec sa sœur jumelle, « dans un entourage avec beaucoup de médecins », s’amuse-t-il.
C’est un enfant métissé. Son père est haïtien, « issu d’une famille assez importante : il a huit sœurs mais surtout, ma grand-mère, veuve assez jeune, a réussi à faire, en sorte que tous ses enfants fassent des études en France, aux États-Unis ou au Canada, tout en tenant une petite échoppe ». Après son bac français obtenu à Haïti, il part pour Bordeaux où il entre en médecine et rencontre la mère de Christophe Harrigan.
Du côté maternel, l’histoire est agricole, mais ne manque pas de saveur non plus. « Ma grand-mère était mariée à un réfugié italien qui avait fui Mussolini », raconte-t-il. « La petite anecdote, c’est qu’il lui manquait un bras… Quand elle croisait un curé, elle lui disait toujours que c’était ‘un cadeau du bon Dieu’, ça montre un certain tempérament », lâche-t-il dans un rire. « Ce sont des maîtresses femmes, des femmes capables de semer. »

Villes moyennes et premières libertés

Il décrit le Mans comme une « petite ville » dans laquelle « avoir des origines métissées vous confronte très vite à un monde qui n’a pas l’habitude de la différence. Ça forge le caractère. »
À la maison, les valeurs humaines et de reconnaissance de la société française et de ce qu’elle a apporté sont très présentes. L’héritage des aïeules est aussi très présent. « Quand on est issu de l’agriculture, on connaît la valeur de la terre et du travail. Donc mon environnement était très axé sur l’humain, sur le mérite et sur le travail », décrit-il.
Christophe Harrigan s’ennuie à l’école, jusqu’à son arrivée au lycée. Cette entrée correspond avec la séparation de ses parents et l’installation avec sa mère et sa sœur à Dax, dans les Landes.
« Là, pareil : je me retrouve dans une ville encore plus petite, avec une moyenne d’âge de plus de 60 ans ! C’est une charmante ville pour un jeune de 15 ans », ironise-t-il dans un grand rire. « Ça reste une ville médicale, parce que c’est une ville thermale, avec de nombreux touristes », s’amuse-t-il.
Il garde des souvenirs marquants de Dax, comme « de voir, très tôt le matin, beaucoup de personnes âgées en peignoir dans la rue. C’est comme un film de science-fiction, c’est E.T. partout ! »
Il en faut plus pour décourager l’adolescent qui résume dans un éclat de rire : « C’est une ville où la jeunesse est très fougueuse parce qu’en minorité. » Néanmoins, c’est, selon lui, « un territoire qui invite à l’évasion. La forêt des Landes est magnifique, les plages landaises sont superbes ». Il détaille, « une mer bleue d’un côté, une mer verte de l’autre, séparées par une frontière jaune ».
Avec la culture landaise, « assez fermée de prime abord mais qui devient très familiale et très inclusive », les ferias « où toutes les générations sont regroupées » ou encore le rugby pratiqué au lycée avec un certain Richard Dourthe, Christophe Harrigan tire le bilan d’une jeunesse heureuse, aux valeurs très humaines, avec ses premiers élans de liberté d’un espace naturel à découvrir.

Docteur ès efforts

Le bac en poche, le futur directeur général de La Mutuelle générale « se projette dans le monde médical ». Il entre en première année de médecine à Angers, sa sœur suit le même cursus à Bordeaux et, « vers la mi-année, précisément le même jour, nous nous sommes appelés avec ma sœur pour s’annoncer, l’un à l’autre, que nous arrêtions ! Ce n’était pas fait pour nous », révèle-t-il. « Faire médecine sans la vocation, ce n’est même pas la peine ». Christophe Harrigan sait de quoi il parle.
Adolescent, il a été marqué par les anecdotes racontées par son parrain, « médecin, vous aviez deviné. Il était même chirurgien orthopédique, il ne voyait que des accidentés de la route et il a été marqué très durement par toute cette violence. Moi, je n’aime pas voir les humains ravagés à ce point ». Il confiera, à voix basse, « ne pas aimer le sang ».
Il faut se réorienter et l’étudiant est déjà un homme porté par des objectifs. En matière de carrière, il se voit devenir expert-comptable. Il « aime bien les chiffres », explique-t-il. C’est même un peu au-delà : il lit les chiffres avec une certaine facilité. « Je ne sais pas comment l’expliquer », confie-t-il après un moment de réflexion, « c’est comme un alphabet ». Son expérience professionnelle le conforte et lui permet de préciser son ressenti. « Un chiffre en soi ça n’a pas de sens. C’est le lien qu’on va lui donner avec un autre chiffre, avec un contexte. Quand j’ai rejoint PwC, j’ai compris que les chiffres seuls n’avaient pas de sens. Les chiffres ne sont là que pour mettre une inscription sur un phénomène, quelque chose qui s’est passé. » Le rationnel, à l’inverse de la littérature avec laquelle il « s’évade ». Le choix de parcours sera donc vers ce monde rationnel des chiffres. Et pas seulement. « Pour mes parents, médecin, c’est rationnel, expert-comptable c’est rationnel aussi », déclare-t-il. Il reste donc à Angers et change de filière, pour entrer en Sciences éco où il sort seconde de sa promotion.
Il enchaîne avec le diplôme d’expert-comptable à Rennes.
« Et là je me rends compte qu’il me manque une chose : parler anglais. J’avais fait de l’analyse qu’il me manquait cette compétence non négligeable. Je décide de partir à Londres, avec seulement un numéro de téléphone pour m’aider à trouver un logement, et c’est tout. » C’est, selon lui, « ma première ‘prise de risque’ vraiment majeure». Coup de chance, le numéro aboutit et il commence dans une petite colocation. « Très vite, il faut trouver un travail. Ce qui est formidable à Londres, c’est que vous allez dans le premier restaurant, vous dites, ‘je veux être serveur’ et vous avez un boulot. C’est une vraie réflexion pour la France. Quand on est jeune étudiant, ça répond à un besoin. Ce n’est pas un modèle en soi, mais ça répond à un besoin », analyse-t-il. Serveur à Londres est une expérience « humaine. Il faut être attentif à l’humain sinon vous sombrez. Vous ne connaissez pas la langue, vous ne connaissez pas les règles, c’est important d’être humble et à l’écoute ».

Les 12 travaux de l’humilité

Christophe Harrigan, jusqu’à présent très chronologique dans l’évolution de son portrait, ouvre une parenthèse qui le refermera cinq bonnes minutes après.
« La chance que j’ai aussi avec mes parents, c’est qu’à chaque fois que j’ai eu des vacances étudiantes, j’ai dû travailler, avoir un travail ouvrier », commence-t-il. Cette « chance » d’être confrontée à la réalité du travail l’emmène dès l’âge de 16 ans dans l’usine Framatome du Mans. Chaque expérience lui permet d’apprendre. Ainsi, « du poste d’observation que j’avais, j’ai tout de suite compris que l’ambiance au travail dépendait du chef (rires) ».
Il travaille aussi dans une usine de fabrication des fameuses rillettes du Mans. « Vous vous levez à 4h du matin pour être à l’usine. 5 km avant l’usine, vous avez déjà l’odeur qui vous prend le nez. »
Il en tire une grande leçon d’humilité.
« Je respecte mes parents, je ne pouvais pas moralement dire ‘j’arrête’ alors que des gens font ça toute leur vie. J’aurais été un enfant pourri gâté. Ce ne sont pas les valeurs que m’ont inculquées mes parents. » Il va plus loin encore : « Pour moi, ce sont des marqueurs de la valeur du travail. C’est très important. Le respect de tous les travailleurs quels qu’ils soient. Que ce soit le comptable, la personne qui est au ménage, à personne qui est à la chaîne ou à l’accueil », ou le directeur général.
Il passe quatre mois à Londres. Un jour, son demi-frère l’appelle en disant que la boîte dans laquelle il est recherche un profil comme le sien. « Je passe un entretien par téléphone depuis Londres, ça se passe bien. Je suis revenu en France et je suis entré chez Socapi, une filiale assurance-vie du CIC ».
Pour un début, il commence fort. « Ma première année d’expérience dans une direction financière où on a fait, le passage à l’an 2000 et la préparation à l’euro ! Le deal était clair, je devais rejoindre un cabinet d’audit une fois les missions terminées. Ils ont essayé de me retenir mais j’avais noué des contacts avec Price Water Coopers (PWC) qui m’a embauché ».
Avec une année d’expérience, il n’est déjà plus un junior sorti d’école et monte les échelons plus rapidement. Il est placé sur le secteur de l’assurance mais il a pu « choisir mes clients et mes portefeuilles. Très vite, j’ai souhaité rééquilibrer mon portefeuille. À côté de Generali, AG2R La Mondiale ou encore Groupama, j’ai eu un portefeuille associatif comme France Alzheimer ou la Croix Rouge ». Là encore, ce sont des expériences fortes. Il raconte des anecdotes avec la Croix Rouge, à Sangatte dans un centre pour migrants, ou dans un lieu d’accueil pour enfants polytraumatisés. Pour remettre de l’humain au milieu des chiffres.
Après les cabinets d’audit, il est recruté par Groupama, puis se voit confier un poste dans la filiale grecque de l’assureur en 2007. La situation y est catastrophique et il est rapidement promu directeur financier. Avec le directeur général, ils redressent la situation « en deux ans, alors que la filiale était déficitaire depuis 10 ans », déclare-t-il. « La leçon à retenir de la Grèce, c’est la complexité des rapports humains. Je travaillais dans une langue qui n’était pas ma langue maternelle, avec des salariés qui eux-mêmes ne travaillaient pas dans leur langue maternelle. Et vous avez un biais culturel. Ce qui est bleu dans ma compréhension n’est pas la même chose que dans leur compréhension. Encore une fois, c’est beaucoup d’humilité sur des pratiques qui sont différentes et ça permet de se dire que pour réussir, il faut bien comprendre avec qui on discute ».
En 2011, il intègre la caisse Groupama Centre-Val-de-Loire qu’il quittera en 2013 pour rejoindre La Mutuelle Générale, un peu lassé « de l’énergie perdue dans des luttes intestines » mais surtout pour rejoindre, « une société mère ». Le courant avec Patrick Sagon, le président de la mutuelle, passe bien. En 2017, après le départ du directeur général, le président lui propose de prendre le poste. Le groupe sort d’un long processus de rapprochement avec Malakoff Médéric qui a échoué et est « à genoux. Il a fallu tout transformer ». Un nouveau défi, de nouveaux objectifs pour lui comme pour les équipes.

Assur-Trek

Les parcours sinueux et complexes ne le dérangent pas. Depuis ses années étudiantes, Christophe Harrigan s’est découvert une passion pour le trek. Et tout commence sur un coup de tête.
« Quand j’étais à la fac, j’ai voulu faire un voyage perso et solitaire. Je suis parti du jour au lendemain pour le Pérou pour faire un trek », commence-t-il. Il décroche un prêt pour le voyage que la banquière reformule en prêt étudiant mais n’a aucune expérience. « Je ne parlais pas un mot d’espagnol, je suis parti complètement à l’aventure. Déjà à Lima, il faut se mettre en mode survie, la ville est dangereuse. Je rejoins ensuite en bus Cuzco, la capitale des Andes. Mais j’étais un bleu complet, je n’avais jamais fait de trek », explique-t-il avant de donner des détails. « J’étais tellement novice que j’avais pris des boîtes de conserve, alors que l’ennemi numéro 1, c’est le poids ! J’avais aussi oublié qu’en altitude, l’eau bout à moins de 100°c… Après mon premier repas, j’ai été malade toute la nuit, au milieu de nulle part, seul dans la montagne. Le lendemain, au premier village, je me suis débarrassé de tout ce que j’avais ! » S’ensuit cinq jours de randonnée en haute montagne, malade, à quémander la nourriture aux groupes partis sur le même chemin que lui. « Mon cerveau avait mis la maladie en pause. C’est une très grande leçon de ce que peut faire la volonté au cerveau ! » Et puis, un beau matin, « vous vous levez vers 4 ou 5h du matin, vous découvrez le Machu Picchu… C’est incroyable, c’est une prouesse humaine, c’est fabuleux. Là vous avez la récompense de tout les efforts que vous avez faits. » La suite, c’est 4 jours pour récupérer de la maladie dans le premier village situé dans la vallée…
Il enchaîne les treks en solo pendant quelques années, en Chine, en Irlande… Il fait deux fois le GR 20 et part avec un ami en Slovaquie. Ce sera le seul trek en duo. « C’est compliqué de trouver des gens qui ont la même passion, ça reste assez dangereux », explique-t-il.
Il arrête en 2013, avec la naissance de sa fille qui correspond avec son entrée à La Mutuelle Générale.

Sa fille et sa famille sont d’ailleurs les axes principaux d’un week-end idéal pour Christophe Harrigan. S’il voit peu la famille haïtienne, implantée en Amérique du Nord, il considère que le plus important, le week-end, « c’est d’avoir des temps exclusifs pour ma fille ». Le métier et la fonction le rendent rare en semaine. Alors quand arrive un temps de repos, il vante la beauté des bibliothèques et des librairies, parle de sorties dans les musées, de partager des moments. C’est sa nouvelle aventure, son nouvel objectif. Un de plus, et à long terme.

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