PORTRAIT :
Corinne Cipière,
libre d'être

Corinne Cipière, directrice générale de BPCE Assurances, est l’invitée du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’assurance le 4 novembre 2024.

PORTRAIT : Corinne Cipière, libre d'être
PORTRAIT : Corinne Cipière, libre d'être

Corinne Cipière, directrice générale de BPCE Assurances, est l’invitée du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’assurance le 4 novembre 2024.

C’est une tour que tout le monde connaît de vue, au sud de Paris, qui nous accueille pour cette rencontre. La salle de réunion où se tient l’entretien offre une vue sur d’autres bureaux. Au loin se devine le ciel francilien. Le lieu est impersonnel, l’inverse de Corinne Cipière qui raconte avec plaisir son parcours très personnel. Voici son portrait.

Corinne Cipière est née le 4 octobre 1976 à Talence, en Gironde (33) mais ne vous y trompez pas : sa vie s’est déroulée bien loin de la région bordelaise. « Mes grands-parents étaient enseignants à l’étranger », confie-t-elle avant de tracer un arbre généalogique qui trouve ses racines en Bretagne, dans le Nord, les Landes et en Auvergne, avec des parents qui ont grandi en Algérie, au Maroc et en Côte d’Ivoire. « De fait, nous sommes plutôt une famille de nulle part et de partout à la fois. L’endroit qui incarne le plus ‘la maison’ ou les racines, c’est plutôt le Pays basque et Biarritz où j’ai passé toutes mes vacances depuis que je suis petite et où je me vois bien vieillir », ajoute Corinne Cipière.
Bien avant ce retour aux sources, l’actuelle directrice générale de BPCE Assurances grandit en France un peu, en Côte d’Ivoire deux ans, avant que la famille ne pose ses valises à Antibes.
Sa mère est dentiste, son père chercheur – entrepreneur passionné d’informatique. Et elle, une élève studieuse et passionnée, bien qu’un peu « bavarde. J’aimais m’amuser », reconnaît-elle dans un rire. « Quand tous tes grands-parents sont profs dans le public, que tu es fille unique, l’école c’est important ! », sourit-elle. « Ma mère voulait que je sois la meilleure de la classe, mon père voulait que je comprenne », précise-t-elle. « J’étais très accompagnée, c’était un effort familial et encore aujourd’hui : mon fils passait son bac de français en juin et je dis souvent que NOUS l’avons passé ».
Si l’on revient à son enfance, elle « aimait beaucoup l’école, parce que je pense que j’adore apprendre », explique-t-elle. Son livre préféré est le Comte de Monte-Cristo et elle a longtemps gardé un souvenir émouvant de la rencontre d’Edmond Dantès avec l’Abbé Faria dans sa prison du Château d’If. « L’ouverture sur le monde que lui offre l’Abbé Faria était pour moi jubilatoire. Ça dit beaucoup de ce que j’aime : apprendre et comprendre », ajoute-t-elle.

Illimitée

Dans cet environnement propice aux études, elle ne développe pas d’ambition pour un métier particulier. « C’est là qu’intervient mon côté rebelle : à 18 ans, je voulais être pilote de ligne, ne pas me marier, ne pas avoir d’enfant et vivre à l’hôtel. Je n’ai pas tenu beaucoup d’objectifs de cette liste », dit-elle en riant franchement. « Si un, je ne me suis jamais mariée. Mais j’ai eu un enfant, je ne suis pas pilote de ligne et je ne vis pas à l’hôtel, même si j’ai beaucoup voyagé ». Corinne Cipière a depuis réfléchi à cette réponse faite à 18 ans. « C’est aussi un élément de mon éducation. Des études expliquent que les filles uniques ont souvent des parcours assez atypiques et surtout pas censurés par le fait d’être une femme. La théorie, c’est que le père investit davantage sur leur éducation en ayant des réflexes qu’il aurait eus pour des garçons. Je ne sais pas si c’était notre histoire à nous, mais moi je n’ai pas du tout grandi en pensant qu’être une femme était une limitation. À 18 ans, être pilote de ligne, ça ne me paraissait pas du tout impossible voire complètement réalisable. C’était clairement l’affirmation du fait que je pensais pouvoir faire tout ce que je voulais. C’était mon objectif à ce moment-là. Je ne me voyais pas du tout dans les stéréotypes féminins », argumente-t-elle.
Soutenue dans ses projets, son père l’inscrit pour passer le brevet de base de pilote d’avion. Corinne Cipière suit un mois de formation et pilote seule. Mais elle découvre aussi la réalité du métier. « Les instructeurs étaient des passionnés, ils avaient tous les brevets mais ils ne trouvaient pas de boulot. Dans les années 90, le marché de l’aviation était saturé et les diplômés de l’ENAC (École nationale d’aviation civile, ndlr) n’avaient pas de débouchés », explique-t-elle.
Ce choix de pilote de ligne interroge. « Je pense que j’étais déjà marquée par le fait d’avoir vécu plus jeune à l’étranger, par les voyages. J’adorais l’avion car à l’époque, c’était la liberté. Fondamentalement tous ces choix viennent de quelqu’un très épris de liberté et d’indépendance. C’est vraiment un fil conducteur de toute ma vie. Il y a beaucoup de choses que je fais aussi quelque part pour garder cette indépendance », confie-t-elle.

Envol pour l’X

Elle n’est pas complètement découragée par l’encombrement de la filière aviation lors de son entrée en prépa. « Je me dis qu’il faut que je sois peut-être un peu plus posée dans mes choix. Sur ce type de parcours scolaire, la beauté c’est que tu repousses le moment de la décision de ce que tu vas faire le plus loin possible », reconnaît-elle en toute franchise. « Tu repousses le moment où tu te confrontes à l’entreprise ou à l’administration. Ingénieur, c’était la meilleure manière de ne pas prendre de décision », ajoute-t-elle dans une ultime réflexion.
L’entrée en classes préparatoires l’oblige à se remettre en question. Les notes chutent, il faut gérer beaucoup d’informations et se préparer à l’après. Corinne Cipière vient de quitter le cocon familial pour emménager à Nice. Celle qui est éprise de liberté et d’indépendance n’a pas « trouvé ça très agréable de quitter la maison. Je pense que mon foyer familial était vraiment un endroit de sérénité. Essayer de recréer ça toute seule dans un petit appartement d’étudiante, c’était assez dur. Mais une fois que j’avais mon réseau d’amis, les choses se sont mises en place… Les parents c’est sympa quand même », dit-elle dans un nouveau rire.
La prépa est difficile. Elle apprend beaucoup sur la gestion de l’échec, la capacité de synthétiser, gérer les trop nombreuses informations. Elle décroche son entrée à l’X, choisit armée de l’air « évidemment » et pour le sport, ce sera… « golf, parce que c’est une sombre histoire pour rester avec mes amis. Ça n’a pas été le début d’une carrière de golfeuse, ça ne me défoule pas assez ».
La scolarité débute par le service militaire. Les classes lui plaisent, le reste moins. « Être une femme de 21 ans bombardée officier, ce n’est pas top ». Elle est sur une base aérienne proche de Reims. « C’était une base de reconnaissance. C’était une expérience intéressante, mais je trouvais que c’était dur : être polytechnicien dans l’armée ce n’est déjà pas être un vrai militaire, mais une femme en plus, ça faisait beaucoup de défauts pour la même personne. Nous étions en 1997, les mentalités étaient très différentes. De plus, j’avais bossé énormément pendant trois ans et là c’était un autre rythme. J’avais l’impression de perdre un peu mon temps », raconte-t-elle. À l’X, le service militaire a aussi une valeur pédagogique : les élèves vont y découvrir « la vraie vie et les vrais gens », explique Corinne Cipière. « Moi, j’ai fait toute ma scolarité dans les établissements publics de ma région, donc les ‘vrais gens’, je les connaissais déjà, je les avais croisés tout au long de mon parcours », soupire-t-elle.
Cette étape passée, la jeune élève s’attache à des professeurs et suit particulièrement quelques matières. « J’ai choisi mes ‘Abbé Faria’ », s’amuse-t-elle et ils l’entraînent dans une voie d’ingénieur, loin de la finance et de l’économie.

Du carottage au courtage

En école d’application, elle opte pour Berkeley. « Je ne voulais pas faire comme tout le monde, je ne me voyais pas faire une école en France, je connaissais déjà. J’adore les langues et je voulais parler très bien anglais ». Elle ouvre une parenthèse, explique que son père et elle partagent cette passion, qu’ils s’amusaient à reproduire les accents, à apprendre du vocabulaire…
Corinne Cipière ne postule pas qu’à Berkeley. Pour mettre toutes les chances de son côté et éviter la filière surchargée de « computer science », elle poursuit dans l’ingénierie pure et dure et opte pour le génie civil et environnemental et génie spécialisé en parasismique. « J’étais aussi admissible à Stanford et UCLA mais les études sont très chères et comme j’avais l’habitude de ne plus demander d’argent à qui que ce soit, j’ai déposé des dossiers de bourse et d’assistante de recherche ou d’assistante professeure dans tous les établissements où je postulais. C’est à Berkeley que j’avais la meilleure couverture. Et puis l’histoire du campus me plaisait bien, le côté à gauche – enfin… pour les États-Unis – le fait que le campus soit vraiment dans la ville, à côté de San Francisco, c’est comme ça que j’ai choisi Berkeley », détaille-t-elle.
Cette fin d’étude est aussi la découverte d’une voie professionnelle. « On allait sur le terrain, je faisais des carottes dans le sol puis j’analysais seule face à mon ordinateur, je faisais des modèles… Là, je me suis dit que ce n’était pas du tout ce qui m’intéressait. Peut-être parce que je suis fille unique, j’ai toujours aimé avoir des conversations, travailler en équipe. La scolarité est déjà très solitaire, là, je n’ai plus envie de faire des choses toute seule. »
Corinne Cipière regarde ce que font ses camarades et amis. Beaucoup entre dans l’univers bancaire, un monde qu’elle ne connaît pas du tout.
Elle décide alors de se renseigner pour « trouver des métiers qui pourraient me plaire ». Le hasard l’envoie rencontrer Jean-Yves Durance, ancien dirigeant du Crédit Lyonnais mais qui est alors président du directoire de Marsh France.
« Il m’a dit, ‘pourquoi pas chez nous ?’ Comme je n’avais toujours pas d’idée de ce que je voulais faire et qu’il me propose un poste avec plusieurs fonctions dans la maison en mode pépinière de cadre, j’ai accepté ».
C’est la première fois que Corinne Cipière saisit une opportunité sans avoir vraiment calculé auparavant. Car entre le courtage d’assurances et la banque, il y a une grande différence. « Je sentais qu’il fallait que j’entre dans le monde du travail, c’était fini de repousser ». Elle restera 12 ans chez Marsh avant de prendre la direction générale de RSA puis d’entrer chez Allianz. D’abord dans la filiale des assurances grands risques puis chez Allianz France. En février 2024, elle est recrutée pour prendre la direction générale de BPCE Assurances.

Sports, organisation et réflexions

Mais il n’y a pas que le travail dans la vie de Corinne Cipière. Le sport y tient une place toute particulière. Élevée selon le principe d’un esprit sain dans un corps sain – qu’elle ne cite pas en ses termes – elle pratique le sport depuis son plus jeune âge pour ses différentes vertus.
« L’un de mes grands-pères étaient professeur de sport, donc l’école et le sport étaient les deux valeurs vraiment clés de la famille. À six ans, mes parents me faisaient faire des footings avec eux. Je leur en voulais à mort parce que je trouvais que c’était vraiment très pénible, mais je leur suis maintenant reconnaissante. Cette base m’a servie dans ma vie d’adulte. C’est très centré autour de l’hygiène, pour gérer le stress. Le sport est bon pour le corps et permet de se faire plaisir quand on mange », lance-t-elle dans un rire.
Serait-ce donc le sport utile ? Aujourd’hui, elle dit pratiquer natation et yoga régulièrement, ainsi que le jogging, mais sans pression. « Le sport n’est pas un domaine de performance pour moi. C’est un domaine de l’ordre du plaisir, de l’harmonie. Je n’ai pas besoin d’autres objectifs que courir. Dans la natation et le yoga, il y a un caractère méditatif. Le footing c’est autre chose, ça me défoule », explique-t-elle. Mais il y a, comme très souvent avec Corinne Cipière, une réflexion très poussée. « J’ai aussi une grosse conviction personnelle : en vieillissant, on se raidit mentalement et physiquement. C’est mauvais des deux côtés. Pour moi, travailler sur ma souplesse d’esprit et de corps est un sujet assez fondamental. »
Alors que l’entretien touche à sa fin, nous lui demandons ce qu’est pour elle un week-end idéal. Logiquement, il y a un peu de sport, mais surtout « l’impression que j’ai du temps ». « Ce qui a fait ma force, ce qui fait que je suis là aujourd’hui, c’est que je suis capable de gérer beaucoup de choses en même temps. Mais parfois, j’optimise trop, tout est trop rempli », confie-t-elle. « C’est la déformation de nos cursus, s’autoriser à être oisif, ce n’est pas évident ». D’autant que la dirigeante se dit « très sociable. J’aime beaucoup la relation aux autres mais je suis aussi fille unique… J’ai besoin de temps de respiration, sauf que je ne suis pas très douée pour me les créer. » Il faut donc parvenir à dégager ce temps personnel, mais aussi assister à un spectacle de danse contemporaine avec des amis, passer du temps avec son fils « sur des problèmes de maths ou devant une série ».
Il y a longtemps, elle s’était fixé l’objectif « de voir la mer ou l’océan une fois par mois… Là j’ai du mal à le tenir, mais c’est aussi pour ça que Biarritz a un tel pouvoir d’attraction sur moi », renchérit-elle.
Au moment de conclure l’entretien, nous lui demandons la dernière chose qui lui a fait plaisir. Elle réfléchit longuement, « car j’ai des réponses, mais je dois choisir ». Et comme une évidence, elle explique qu’elle a récemment eu les retours de ses visites sur les différents sites de BPCE Assurances. « On m’a dit que je semblais authentiquement m’intéresser à ce qu’ils faisaient et que j’étais très approchable », livre-t-elle.
« Je pense que c’est ce que je veux incarner – c’est bizarre de parler de volonté parce que dans la pratique c’est simplement qui je suis ». Elle se souvient alors : « il y a beaucoup de moments de ma carrière, quand j’ai changé pour prendre des responsabilités supérieures, des proches, des gens bien intentionnés me disaient que je souriais trop, que je devrais changer ça. À chaque mouvement, je me suis demandé ‘est-ce qu’il va falloir que je change ?’ En réalité, on ne se refait pas, je continue d’être à peu près la même à chaque fois… Et quand les retours me montrent que c’est bien de rester telle que je suis, fidèle à moi-même, c’est plutôt sympa ». Elle conclut par une citation de Jean-Louis Trintignant reprenant, en 2012 au Festival de Cannes où il vient d’être primé, une phrase de Jacques Prévert : « Il faudrait essayer d’être heureux ne serait-ce que pour donner l’exemple ». « Heureux c’est compliqué, parce que la notion de bonheur est complexe, mais joyeux, là, j’adhère complètement ».
Joyeuse, indépendante et réfléchie, de corps et d’esprit.

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