PORTRAIT :
Édouard Vieillefond,
les objectifs du bon moment
PUBLIÉ LE 18 Novembre 2024
Édouard Vieillefond, directeur général de CCR, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 28 novembre 2024.
Édouard Vieillefond, directeur général de CCR, est l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 28 novembre 2024.
Une fin d’année chargée n’a pas empêché de tenir un rendez-vous souvent décalé. La rencontre se fait dans les locaux de CCR où tout le monde est en « Flex office ». Édouard Vieillefond nous reçoit dans une petite salle de réunion et se lance dans l’exercice du portrait en gardant les commandes. Il dévoile peu de sa vie privée mais livre beaucoup d’informations à chaque phrase dans un cheminement chronologique au cours duquel il se permet quelques parenthèses, de l’ironie et beaucoup de sourires.
Édouard Vieillefond est né le 25 janvier 1971 à Talence, en Gironde (33). « Le grand hôpital maternité de Bordeaux se situait à Talence », explique-t-il, car il est bordelais. L’actuel directeur général de CCR grandit et fait ses études jusqu’au bac dans la cité girondine.
De son propre aveu, Édouard Vieillefond est un très bon élève. « J’étais premier de la classe, mais un peu particulier parce qu’un peu dissipé », détaille-t-il. « J’avais du mal à suivre pendant le cours car c’était pour moi des moments d’échanges et de camaraderie. » Il rappelle une anecdote, quand un professeur de mathématiques le défend à un conseil de classe où il lui est reproché « de ne pas tirer la classe vers le haut ». « En résumé, je n’étais pas très obéissant », lance-t-il, ajoutant avec malice : « ça fera rire ».
À la différence de nombreuses personnalités passées dans ces portraits, Édouard Vieillefond sait, dès son entrée en lycée, ce qu’il veut faire. « Le fantasme, c’était de devenir ingénieur et plus précisément dans l’aérospatial », explique-t-il rapidement. « Et le rêve des études pour y parvenir, c’était faire l’X et Supaéro ensuite. J’avais ce rêve dès la seconde… » Avant de connaître une forme de désenchantement, mais « on y reviendra plus tard », dit-il une première fois, avant de le répéter souvent, comme pour garder le fil de son récit.
Cap en prépa
Le rêve en tête et le bac en poche, l’étudiant entre à Ginette, le prestigieux lycée Sainte-Geneviève de Versailles. Comme d’autres avant lui, il découvre la différence de niveaux entre les lycées parisiens et ceux de province. « C’était un massacre. Le retard du provincial par rapport à la sphère parisienne ou versaillaise était impressionnant. Ils avaient préparé la prépa ! C’est comme s’ils avaient presque un an d’avance sur le programme », analyse-t-il aujourd’hui.
Édouard Vieillefond, salue la qualité de l’accueil, la volonté de l’établissement d’ouvrir ses portes aux lycéens de toute la France, mais il considère, dans sa première année, qu’il doit franchir un cap. « J’ai un souvenir très dur de la sup’. C’est pareil pour tout le monde, sauf quelques chanceux, mais je pense qu’il existe beaucoup de profils comme moi. » Il détourne Niestzche avec « ce qui ne vous tue pas vous… laisse en vie » et poursuit sur la bonne ambiance de classe et la camaraderie qu’il retrouve.
L’envol loin de Bordeaux et du foyer familial ne l’affecte pas plus que ça. Il a un projet et n’a pas ce tempérament. « Ça fait bizarre de partir, mais je retrouvais un internat, un lieu très encadré. Et je suis très indépendant, donc ça ne m’a pas gêné ».
Autre trait de caractère, Édouard Vieillefond fonctionne sous pression. « J’arrive souvent à être bon dans les bons moments, quand ça tombe bien. Il y a une question de pression mais aussi d’instant », explique-t-il. « Il faut toujours qu’il y ait des moments et des objectifs particuliers que je me fixe. » Après un concours logiquement bien réussi, il entre à l’X. C’est le moment de faire son service. « La fin de la prépa, ça marque, il faut absolument qu’on profite de la vie », reprend-il.
À l’école des officiers, « j’ai été vraiment très désobéissant, donc au concours, j’étais dans les derniers. Je suis envoyé à Baden-Baden, puis j’ai la chance d’aller à Berlin pendant 7 mois en 1991, peu après la chute du Mur » et la réunification allemande. Là-bas, il y croise et sympathise avec un certain Régis Lemarchand, actuel membre du Comex de Generali France, et les deux hommes vivent de près ce moment historique.
X, sport et aéro
Avec l’entrée à l’X arrive la question du sport, qu’Édouard Vieillefond n’élude pas, bien au contraire. « En sport, je suis un peu Churchill à la fin de sa vie », s’amuse-t-il. « J’avais pris foot et c’était une catastrophe. Ils m’avaient mis en équipe 3 et la deuxième année, je me foule la cheville dès le début de la saison… sans le faire exprès ! », précise-t-il avec un sourire. L’ambiance est bonne dans la section et il en garde un excellent souvenir. Même en sport. « Un jour, le prof de sport vient me chercher dans ma chambre parce qu’il avait des tests obligatoires à faire passer aux étudiants. Il me fait courir, monter à la corde et finit par me dire que ce n’était pas si mal », confie-t-il avec un nouveau sourire.
« J’ai fait 2 fois du sport dans ma vie. J’ai pratiqué le tennis entre 7 et 14 ans, j’arrivais à un niveau début de classement puis j’ai arrêté. Après j’ai fait de la muscu, de 25 à 35 ans. Ce n’était pas à la mode à l’époque, mais je m’étais dit que pour la santé et pour tout un tas de raison, ce serait bien. Sinon, je n’ai jamais vraiment fait de sport… Vraiment, ‘no sport’ », lâche-t-il dans un soupir très assumé.
Pour quelqu’un porté par l’objectif et le moment, le sport et plus encore la compétition semblaient pourtant tout indiqués. Nouveau soupir. « J’ai tout essayé, l’aviron, le vélo – je déteste le vélo – j’ai sauté en parachute… Le problème, c’est que je n’ai pas les capacités physiques, je n’ai pas un très bon sens de l’équilibre, de repère dans l’espace. Et puis j’ai un vrai problème de chevilles, j’en suis à cinq foulures dont certaines graves… » Le cerveau commande, mais le corps ne suit pas.
Car le cerveau, lui, fonctionne très bien. À l’X, il choisit ce qu’il veut faire et « deux choses m’ont passionné : la biologie et l’économie – finance ». Ce choix ébranle ces certitudes. Édouard Vieillefond commence à questionner sa volonté d’être ingénieur. C’est sa dernière année dans l’école. Il fait son stage de fin d’études en finance, à la Compagnie bancaire, en mathématiques stochastiques et calculs de modèles. « J’ai adoré, et je me suis posé des questions. Soit Supaéro, c’est-à-dire entrer dans le corps de l’armement et voir si j’ai envie de faire mon rêve d’ingénieur, soit poursuivre dans la finance ». Suspense… Il choisit finalement Supaéro « pour plein de raisons, mais en continuant de me poser des questions ». Il y apprend à piloter un avion, trouve que « Toulouse est une ville sympa », et se lance dans un DEA d’économie en parallèle.
Il entre dans la vie active en 1995, à la DGA, sur des projets tactiques et stratégiques notamment sur les missiles. Mais il n’est pas convaincu. « C’est pas mal, mais c’est une très grosse administration… J’adorais la physique et l’intuition, je regrettais de ne pas être dans l’équipe des systèmes satellitaires. »
La découverte éco-fi
Édouard Vieillefond quitte la DGA pour suivre une opportunité. Il entre à la délégation aux affaires stratégiques. « C’était plus stratégique, plus proche du pouvoir. Je travaillais avant sur des missiles, là j’essayais de les interdire… », raconte-t-il. Après trois ans, une nouvelle opportunité s’offre à lui. Cette fois, on lui propose de rejoindre le Trésor. « J’aimais le côté stratégique et moins techno. Quand j’étais à Supaéro, je voyais tous mes camarades faire du C++. J’en avais fait aussi, c’était mon mémoire de fin d’étude, mais ça ne pouvait pas être ma vie. »
Là, Édouard Vieillefond a l’opportunité de s’approcher de la décision, « politico-technique », et de le faire « dans la matière que j’avais découverte et qui me plaisait vraiment », dans les mathématiques financières. Il bascule donc au Trésor, « et je dois franchir un nouveau cap ! Il a fallu que je me mette au niveau très vite sur des sujets que je ne connaissais pas ». Une dizaine d’années après Ginette, c’est la deuxième fois qu’il fait face à un tel changement de niveau. Mais ce défi le passionne.
Finance internationale et européenne, entrée dans l’agence des participations de l’État à la tête d’un bureau puis directeur des participations sur l’énergie. Au Trésor, « l’ambiance et la camaraderie étaient assez extraordinaires », se souvient-il,« les jeunes adjoints qui expliquent comment faire, les responsabilités dans des réunions internationales, c’était passionnant ». Le temps manque pour poursuivre le fil de cette riche carrière qui amène Édouard Vieillefond à l’Autorité des marchés financiers (AMF) puis chez Covéa et enfin à la direction générale de CCR.
En dehors du travail, qui l’occupe « souvent le samedi matin, j’ai une phase pour faire les choses que je n’ai pas pu faire dans la semaine mais qui sont un peu stratégiques. Mes idées viennent souvent à ce moment-là. Je peux ne pas travailler ou passer trois heures sur un sujet », confie-t-il. La météo ne lui a pas permis cette année de faire beaucoup de moto, passe-temps qu’il apprécie.
Le week-end idéal lui permet de voir son fils de 22 ans, mais lui laisse aussi le temps de lire. « Je me suis beaucoup sacrifié dans mes études et ma carrière donc maintenant je reprends le temps de lire. C’est minimum un livre par semaine, parfois facile ou parfois plus sérieux ». Quand il le peut, il s’échappe en Gironde, où il a une maison mais « dans un endroit secret qu’il ne faut pas dévoiler sinon du monde va s’y installer », s’amuse-t-il. Les week-ends à rallonge lui ont permis de profiter de la maison au vert. « Je ne la pratiquais pas assez. Maintenant qu’il faut faire du télétravail, j’y vais plus souvent ». Océan, forêt et des amis, pas si loin de sa région d’origine…
Un moment sans objectif autre que de profiter.
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