PORTRAIT :
Éric Chenut,
le droit militant
PUBLIÉ LE 15 Février 2024
Éric Chenut, président de la Mutualité Française, sera l'invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l'Assurance le 29 février 2024. Voici son portrait.
Éric Chenut, président de la Mutualité Française, sera l’invité du Petit déjeuner Off de La Lettre de l’Assurance le 29 février 2024. Voici son portrait.
Pour quelques mois encore, la FNMF est installée dans un immeuble du bout de la Gare Montparnasse, près du siège de la MGEN. C’est dans un bout de l’arrondi qu’Éric Chenut a son bureau et nous reçoit pour cet exercice particulier où second degré et souvenirs se mêlent.
Éric Chenut est né le 16 février 1973, à Nancy, (54), « je suis Nancéien. J’y ai fait mes études jusqu’à la faculté de droit, j’ai été élu local à Nancy, je n’ai quitté la ville que pour la Mutualité. Il fallait un beau projet pour me donner envie de quitter Nancy », répond-il dans un rire premier d’une longue série. Il y retrouve régulièrement sa famille et des amis.
Quel type d’élève était-il ? « Selon moi ou selon les enseignants ? », demande-t-il. Les deux versions nous vont, il poursuit : « Curieux, bosseur… et ne détestant pas l’insolence selon les enseignants », s’amuse-t-il encore. « Un de nos jeux était de poser des questions auxquels les enseignants ne savaient pas répondre. Certains appréciaient et nous manipulaient, ils entraient dans le jeu et nous obligeaient à travailler, et il y en avait d’autres qui ne supportaient pas ça ». Amusant pour un futur élu de la MGEN.
Outre ces confrontations intellectuelles, Éric Chenut explique sa curiosité. « Quand un sujet m’intéresse, j’ai besoin de comprendre comment ça marche, de soulever le capot. Et un sujet en attire un autre… C’est un trait de personnalité très ancien ».
Être au bon en droit
Adolescent, il veut « faire du droit et être avocat ». Une ambition qui naît dès la 4e, sans modèle familial. « Je viens d’une famille d’agriculteurs, une mère laborantine. Nous n’étions pas dans ces sujets la. J’avais une vision idéaliste du droit, je pensais que c’était la justice », s’amuse-t-il en y repensant. « Mes espoirs ont été douchés dès la première année, quand on nous a dit : ‘vous êtes là pour apprendre le droit, et le droit ce n’est pas la justice’. Je m’étais planté. »
Il en rit aujourd’hui, admettant qu’à l’époque, ça l’avait beaucoup moins amusé. Il aime la matière, sa mécanique, mais doit se rendre à l’évident : la justice, c’est autre chose. Il raconte une anecdote à ce sujet. « En partiel, nous avions un cas pratique à faire. Je résous le cas pratique mais je trouve que la solution n’est pas juste. Je précise dans ma conclusion des actions qui pourraient permettre à la personne de rendre la situation un peu plus juste… La professeure m’a convoqué e t m’a dit : ‘si vous n’aviez pas ajouté ça, vous auriez eu 17. Je vous enlève 5 points car ce qu’on vous demande, c’est de résoudre le cas pratique’. C’était bien de me l’expliquer car ça m’a servi de leçon : je n’ai jamais refait l’erreur. »
Nous imaginons aussi que le débat argumenté et le fait de plaider pouvaient plaire au jeune Éric Chenut. Pourtant, la réalité est plus complexe. « Ça me fascinait, mais je ne peux pas dire que ça m’attirait. Prendre la parole en public, à ce moment là, c’était quelque chose de très compliqué… Débattre avec quelques personnes, ça allait, parler devant un amphi, c’était inenvisageable », confie-t-il.
Mais les choses vont changer par le syndicalisme étudiant et des méthodes plus brutales. « On m’a dit un jour, ‘viens avec nous, on va te montrer comment on fait’… Puis on vous pousse sur la scène et vous avez deux choix : soit vous partez en courant – sachant que vous avez 600 étudiants pas forcément sympathiques en face qui vous sifflent – soit vous tenez votre papier, vous tremblez comme une feuille, mais vous essayez quand même de faire l’intervention. On l’avait préparée avant, même si ce n’était pas moi qui étais sensé la faire. C’était mon baptême du feu. » Il évoque cette première en riant, mais reconnaît que ne pas avoir apprécié cette première expérience. « J’ai ensuite fait beaucoup d’interv’ dans les amphis, et ça m’a plu de réussir, par la force de la parole, à retourner un amphi. C’est extrêmement formateur et intéressant, comprendre la mécanique de groupe et l’art de la dialectique. »
Stabilité militante
Les années fac ont été déterminantes. Tout commence par le départ du foyer familial. Il prend un long temps de réflexion, une première dans l’entretien. « C’est quelque chose que je voulais faire depuis des années, ça n’a pas été compliqué à vivre », répond-il dans un sourire. Il travaille tous les étés, depuis l’âge de 16 ans pour se donner les moyens de cette liberté. Il énumère les métiers : animateur en centre aéré, caissier aux piscines de Nancy, un passage par une Caisse d’épargne et même « balayeur à l’hôpital ». À partir de son entrée à la fac, il passe ses étés dans un cabinet d’avocat, plutôt spécialisé en droit des affaires. Une aubaine pour comprendre ce qu’il apprécie, et ce qui ne lui plaît pas. « J’adorais le droit, j’adorais la mécanique, mais je n’avais pas du tout envie de gérer la relation avec les clients. Elle est parfois très pesante pour les avocats », lâche-t-il en riant. « Toute la partie prospection commerciale, ça ne me correspondait pas. Je ne me voyais pas aller démarcher des clients », explique-t-il. Il pense alors à la magistrature… et puis « la vie a fait que je suis passé à autre chose ». « Au cours de mon DEA, ma vue se dérègle beaucoup. Je suis obligé d’étendre mon diplôme sur deux ans. En deuxième année, alors que je fais mon mémoire, je perds la vue totalement. Il faut alors tout repenser, s’adapter. Je ne maîtrise plus le braille que j’avais appris en primaire, l’informatique ne permet pas ce qu’elle permet aujourd’hui. Il y a une année d’adaptation… assez complexe », résume-t-il.
La béquille, c’est le militantisme. « C’est mon pôle de stabilité. Tout ce qui était un peu en perspective s’effondre, mais ça au moins se maintient. Et ça me permet de tenir ». Pourtant, les années sont aussi difficiles sur la partie militante. « Entre 97-99, je suis à la MNEF pour qui c’est aussi compliqué. Il y a ça en plus à gérer », lâche-t-il dans un rire. Il se fait sortir de la mutuelle où il est élu, puis y revient à la demande des administrateurs provisoires pour créer la LMDE en 1999. « Je dis d’entrée que je viens donner ce coup de main là. Ce n’était pas prévu que je sois président de la LMDE. J’ai alors 26-27 ans et je vois toute la difficulté de trouver du travail quand on est aveugle », détaille Éric Chenut. « Je suis très clair dans ma tête, je le suis avec les parties prenantes sur le fait que ce n’est que temporaire ». Il quitte la mutuelle étudiante en 2001, comme annoncé.
Mutualisation professionnelle
Pour la MNEF, et plus encore avec la LMDE, il se partage entre Paris et Nancy. Il décroche un poste au rectorat à Nancy, comme attaché d’administration de l’état, spécialisé sur les ressources humaines. Il s’y installe et s’y plaît, parce qu’il y retrouve une forme de liberté et des sujets à creuser. « Le recteur m’a demandé un rapport sur des missions qu’il faudrait développer. J’en propose deux : une très juridique et une beaucoup plus RH. Il a choisi la seconde et m’a confié la mise en œuvre avec la direction des ressources humaines. J’ai une chance folle, j’ai créé mon poste et dans l’administration, ce n’est pas si fréquent », explique-t-il dans un nouveau rire.
En parallèle, Éric Chenut a conservé sa fibre militante. Il est élu à la MGEN, devient président de la section de Meurthe et Moselle. « Pendant une année, je fais des mi-temps. Mais quand on dirige un petit service, ça n’existe pas le mi-temps. Donc je revenais au rectorat le soir, après avoir passé l’après-midi à la MGEN… C’était intenable ! J’aime bien bosser mais quand-même ! » Il faut faire un choix, d’autant qu’on lui propose de prendre plus de responsabilités dans la mutuelle. « J’ai choisi MGEN parce que Jean-Michel Laxalt, parce que Rolland Berthilier », répond-il immédiatement. Il se souvient du moment précis. « Quand ils m’appellent pour me proposer de les rejoindre, il y a d’abord un gros blanc au téléphone. Je leur ai demandé trois jours : c’était le week-end de mes trente ans et j’avais plutôt la tête aux préparatifs. » Le risque est mesuré et l’envie réelle, et il se lance sans plan de carrière. « Je ne pensais pas que 20 ans après j’y serai encore », s’amuse-t-il.
Du suivi des dispositifs de prévention des risques professionnels, il rebondit de dossiers en dossiers, jusqu’à devenir vice-président de la mutuelle. Puis de se lancer, en 2021, dans la course à la présidence de la FNMF.
Ce parcours militant, fait de choix, d’opportunités et de travail, a-t-il toujours été existé ?
Pour Éric Chenut, la bascule se fait au lycée. Alors « plutôt matheux », il découvre la philosophie, et lit beaucoup. Ces matières créent un environnement favorable pour « comprendre de nouvelles choses », explique-t-il. Avec, toujours, une notion du collectif et du plaisir. « Moi je ne suis pas du tout militant sacrificiel », prévient-il. « Ce qui m’a donné envie de militer, c’est de faire bouger les choses, mais surtout de faire avec des gens. Il y a eu des endroits d’où je suis parti très vite parce que je me sentais pas bien avec les personnes », résume-t-il.
Hyper-activiste précoce
En creusant, « l’envie de faire bouger les choses, et de le dire » se révèle tout de même très jeune. « Ça a commencé très tôt, dès le en CM2. Le directeur de l’école cherchait des volontaires pour réfléchir à la demi-pension. Je quittais l’établissement, mais j’y suis allé parce que la manière dont les enseignants nous en parlaient, ça ne me semblait pas bien », admet-il dans un sourire. « Je ne sais pas dire l’origine » ,s’amuse-t-il, mais le militantisme. Éric Chenut se souvient aussi avoir été délégué de classe, une première fois en 5e, puis en première et terminale…
C’est à l’université que les choses prennent forme. « En première année de droit, je ne faisais que du droit. On nous avait alertés sur le taux d’échec et comme j’étais boursier, je ne pouvais pas me le permettre. Le droit m’intéressait, mais ne faire que ça ne me convenait pas. Je m’ennuyais profondément, je ne m’intéressais plus assez à ce qu’il se passait autour. Une fois passé en deuxième année, j’étais rassuré, j’ai commencé à reprendre du temps, à voir des gens. » Animé par ce « besoin, autour de la discipline, de m’intéresser à beaucoup d’autres choses », il entre dans le syndicalisme étudiant, puis, « pour donner un coup de main », découvre le monde mutualiste…
Fervent militant, Éric Chenut ne se connaît pas vraiment de passions. « Je lis beaucoup, j’écris aussi, j’écoute beaucoup de musique… Le sport ? Je pratique parce que c’est nécessaire à cause de nos activités sédentaires », ajoute-t-il dans un rire, avant de reprendre son sérieux : « mon sport à moi, c’était le vélo, et ça je ne peux plus le faire et ça m’ennuie profondément », regrette-t-il. Il nage régulièrement, dans un club, mais ne joue plus de piano, après une formation « classique et jazz », par manque de temps.
Pour finir la semaine, son week-end idéal est « au bord de la mer, dans le Sud de la France, avec des amis et sans échéance professionnelle la semaine qui suit. Un week-end pendant lequel je peux vraiment décrocher, sans passer la moitié du week-end à l’intérieur à consulter l’ordinateur », rit-il franchement. Est-ce possible quand on est président de la Mutualité Française ? « Ça arrive de temps en temps, mais de plus en plus rarement », ajoute-t-il.
À croire qu’Éric Chenut oublierait de militer, parfois, pour son propre bien-être.
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