Réforme de la santé :
où trouver les bras et les sous ?
PUBLIÉ LE 6 Juin 2022
Si le thème de la santé a été complètement occulté des campagnes présidentielles et législatives, le sujet revient dans l’actualité par les difficultés de l’hôpital.
Jérôme CABOUAT et Régis de LAROULLIÈRE, contributeurs réguliers sur la santé (sur la grande sécu ou la stratégie publique face au covid-19), souhaitent apporter quelques éléments dans le débat. Voici leur première contribution.
À l’évidence, les français sont attachés à leur système de santé.
On a encore en mémoire les applaudissements des français à 20h00 pendant le premier confinement en hommage aux personnels soignants, et l’effort fait en leur faveur dans le cadre du Ségur de la Santé. Selon le baromètre d’opinion de la DREES réalisé fin 2020 et l’étude publiée en mai 2022, 77% des enquêtés considèrent que notre système de protection sociale fournit un niveau de protection suffisant ; 68% jugent normale la part du revenu national consacrée au financement de la protection sociale dans le contexte Covid, et seulement 12% la jugent excessive.
Si l’inquiétude par rapport à l’avenir est croissante, la satisfaction est élevée : la proportion des enquêtés s’estimant beaucoup ou assez préoccupés par la santé des français est passée de 70% avant Covid à 81% fin 2020, mais la proportion de ceux qui estimaient leur propre état de santé bon ou très bon atteignait 76% lors de l’enquête, en légère hausse par rapport aux 10 années précédents (71% en 2010 et 75% en 2019).
À l’évidence, les français attendent davantage encore de leur système de santé.
Fin 2020, 72% des enquêtés s’accordent sur l’idée qu’il n’y a pas de raison de limiter les dépenses de santé, car la santé n’a pas de prix, à comparer à 67% en 2010 et 58% en 2013. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à penser que, dans un pays développé, il est normal que l’on dépense de plus en plus pour la santé : 77% dans l’enquête, contre 72% en 2019, 70% en 2010, et seulement 55% en 2013.
En pratique, les délais pour obtenir un rendez-vous et plus encore les déserts médicaux inquiètent. De nombreux besoins sont également mis en avant par les professionnels de santé, comme par les think tanks qui se spécialisent sur ce sujet. Les deux priorités retenues pour le prochain quinquennat (prévention et résorption des déserts médicaux) sont loin d’épuiser le sujet, en atteste aujourd’hui la crise des urgences.
Mais comment faire face aux besoins correspondant à ces attentes ?
Quels financements mobiliser ? Peut-on accroître les prélèvements obligatoires pour financer les dépenses additionnelles correspondantes, alors que le sentiment de dégradation du pouvoir d’achat est vif et croissant ? Peut-on laisser encore filer la dépense, les déficits et la dette alors que les taux d’intérêt remontent et que les responsables de nos finances publiques s’alarment, et que nous sommes déjà un des pays où la part du PIB consacrée à la santé est une des plus élevée du monde après les Etats-Unis, avec plus de 12% pour la Consommation médicale totale ?
Et en pratique, sur quelles activités prélever les personnels supplémentaires pour faire face à ces besoins ? Pas sur l’éducation, ni sur la sécurité, la défense ou la justice, pas sur l’industrie au moment où s’accroissent les investissements pour la transition énergétique et la réindustrialisation, ni sur le BTP déjà en manque d’effectifs pour isoler et verdir massivement nos habitations et nos bureaux, pas davantage sur les services de proximité également en pénurie de personnels, etc.
Ouvrons ici une piste.
L’OCDE estime dans une fourchette de 20% à 50% le potentiel d’amélioration de la performance des systèmes de santé dans ses pays membres. Certes, l’effort est engagé, depuis longtemps, qu’il s’agisse par exemple de la TAA, même si elle est améliorable, ou des génériques. Mais les résultats semblent très en retrait du potentiel.
Le sujet est délicat, tant sont vives les inquiétudes de nos concitoyens quant à l’avenir de notre système de santé et ancien le malaise et de plus en plus perceptibles les signes d’épuisement d’une fraction des personnels de santé.
Mais il faut ici entendre amélioration de la performance au sens d’amélioration de l’efficience : apporter le même service avec moins d’effort, apporter un meilleur service à effort et moyens constants, réduire ce qui est peu utile, voire inutile, comme les examens médicaux redondants, les stocks de médicaments qui se périment dans les armoires de pharmacie, ou le poids administratif du système.
Selon cette même enquête de la DREES, 61% des personnes interrogées estiment que le système de sécurité sociale coûte trop cher à la société, en hausse de 5 points par rapport à 2019. Et 79% déclarent que les dépenses de santé sont trop élevées car le système n’est pas bien géré. Peut-être ont-ils été convaincus par les études de l’OCDE, mais plus probablement ne font-ils qu’exprimer leur propre expérience ?
Améliorer l’efficience du système de santé ?
En améliorant progressivement l’efficience, on pourrait à volume constant redéployer les moyens existants et dégager les moyens humains (et financiers) des améliorations espérées.
Pas de perdants dans une telle approche progressive, que des gagnants, à commencer par la santé des français. Et un gros avantage : une gouvernance unifiée pour le pilotage de la transformation, les redéploiements ayant lieu au sein du système de santé.
Les freins ne sont au fond que la force de l’habitude et les usuelles résistances psychologiques et culturelles au changement. L’administration progresse au demeurant dans l’art de les lever, avec une perception croissante des enjeux managériaux et humains.
Dans la situation actuelle de tension des finances publiques et du marché de l’emploi, l’amélioration résolue de l’efficience est certainement le meilleur, et peut-être le seul moyen véritable de trouver les bras et les sous nécessaires à l’amélioration du service rendu par notre système de santé.
Il y a urgence à changer de braquet, alors que se mettent en place les nouveaux responsables du prochain quinquennat et se définissent les objectifs et les formulations mobilisatrices associées.
Régis de LAROULLIÈRE est ancien directeur général de MÉDÉRIC, et conseil en stratégie et gestion des risques
Jérôme CABOUAT est conseil de direction, spécialisé dans la dynamisation et la sécurisation des grands programmes de transformation
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